• Une histoire de jardinier - III Epilogue

     Le texte continue.

    Dieu qui a indiqué l'existence de l'obstacle ou qui a instauré l'interdit, qui a fait connaître l'existence de la loi ou qui l'a édictée, présent dans ce dialogue en tant que référence extra-textuelle - la Loi -, mais qui est demeuré étrangement absent en tant qu'acteur, se fait à nouveau présent, sous une forme différente, étonnante.

    Dieu cherche l'homme. Dieu appelle l'homme qui se cache.

    L'homme répond « je - j'ai entendu ta voix dans le jardin (....) » ; profération affirmative, originelle, du sujet qui permet d'instaurer le premier dialogue entre l'homme et Dieu.

    « Où es-tu ? (...)

    - Je suis nu, et me suis caché.»

    J'ai peur, j'ai honte, je suis nu, je me cache. J'ai honte de mon animalité, de ma faiblesse, de ma nudité. Je suis absent, hors de l'intime de l'être. Je me sais séparé de Soi. Posé nu face à l'Altérité absolue qui m'interpelle.

    En termes juridiques, l'homme assume une responsabilité causale objective, une responsabilité sans faute. L'esprit répond : ce n'est pas ma faute, ce n'est pas mon choix, c'est la faute de la part féminine de mon être, de ma nature inconsciente, de la nature de mon âme. L'âme répond : ce n'est pas ma faute, c'est la pulsion divine, originelle, très antique, qui m'a emportée. Le serpent ne répond rien, il n'est même pas interpellé. Étant le vieux-dieu, il ne peut accuser dieu de l'avoir ainsi créé, il ne peut exprimer qu'un désir désordonné qu'il est incapable de justifier ou de penser ; il se tait.

    Le vieux-dieu est détrôné. L'élan vital, le vouloir-être, le vouloir-vivre, l'éros originel est désacralisé ; il n'est plus divin, comme ne le sera plus non plus la nature ou la matière. C'est la rupture radicale avec l'immanence païenne ou animiste, l'affirmation de la transcendance, absolue.

    Le dialogue s'achève par un triple constat, ou une triple sanction : le désir primordial ne peut être que matériel, l'âme est soumise à l'esprit, et l'esprit est condamné à questionner un réel désormais rugueux, conscient de son être-là-pour-la-mort, n'ayant d'autres ressources désormais que d'interroger sans cesse l'horizon de cette terre d'où l'homme vient et où il va.

    Paradoxalement, la hiérarchie désir-âme-esprit-dieu est inversée - et de fait la voie gnostique condamnée sans appel - .

    Désormais dieu est condamné à chercher la conscience humaine qui se dérobe, comme a contrario la conscience est condamnée à vouloir comprendre l'Être qui se dérobe. La primauté de la conscience, se sachant être inaccompli, est instaurée et l'âme, toujours blessée par la morsure du désir, se voulant être accompli, y est soumise ; elle ne cherchera à s'accomplir qu'au service de la conscience. Ses enfants, ses œuvres - synthèse de l'animus et de l'anima - naîtront dans la douleur et l'effort. La pulsion vitale est condamnée à ne pas s'élever au-delà de la poussière, de la matière, à n'être pas plus que ce qu'elle est, incapable d'octroyer une quelconque valeur à l'être, il autorise le mal dont il est le complice et partant, par extension, il est le mal ; le serpent sera réduit à satan - ainsi que le nomme désormais le texte coranique -.    

    Pour l'homme, nulle malédiction n'est proclamée [... tu enfanteras des fils..., tu mangeras du pain... (Le pain céleste, la manne, c'est en hébreu ma - quoi ; la question sera le pain de l'homme, l'homme se nourrira de questions)], mais peines et souffrances sont promises. L'homme sera le serf de la glèbe, non plus le serf de l'éden

    L'homme désormais saisit l'ego dans son désir pour être et dans son effort pour exister. Il sait désormais que la connaissance n'est pas intuitive, qui serait donnée par la consommation d'un simple fruit, mais qu'elle est désir, mais qu'elle est aussi effort.

    Par contre, nul salut n'est promis, nul retour en arrière n'est possible ; éden est interdit, comme est naturellement interdit le retour au sein du ventre de la mère, comme est naturellement interdit le retour au pays de l'enfance.

    L'homme entre dans le temps et dans l'espace. Il entre dans l'histoire. Il existe (de ex-sistere, se placer, se tenir hors de) hors de l'éden ontologique, hors de l'en-tête du texte ; alors celui-ci peut dérouler son histoire et dérouler d'autres textes qui vont témoigner de ce désir d'être et réfléchir sur cet acte d'exister.

    Hors de l'éden, hors du paradis peut se déployer le dialogue de l'homme et de dieu, de l'homme avec l'homme, qui s'interroge sur son être, sur son existence, de l'homme qui devient homme.


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