• Néron-Sénèque ou comment humaniser l'homme ?

     Si sa lecture en est plaisante, ce roman n'a rien d'insolite. Il reprend les récits de Tacite et de Suétone, peu suspects d'impartialité, pour dresser le portrait d'un empereur honni par la tradition, figé dans la pose emblématique de l'Antéchrist, que trace le sous-titre ; il assume la figure commune du tyran marqué du chiffre abominable, celui de la bête de l'Apocalypse, l'incarnation du Mal.

    Le propos du texte n'est pas de prendre part à la controverse historique, aussi le roman ne dira-t-il rien du néronisme, cette monarchie baroque, romantique et artiste, promue par un jeune prince hellénisant, dont la théologie orientale ne pouvait manquer de heurter la gravitas romaine. Nero Claudius Cæsar Drusus Germanicus, né Lucius Domitius Ahenobarbus, ne fut pas une brute sauvage, analphabète ; orateur bilingue, pétri de culture hellénistique classique, bâtisseur et citharède, c'est l'homme du théâtre et de l'amphithéâtre : le maître du genre humain ; le maître du monde ; dominateur de l'étant et des êtres ; dieu solaire, ordonnateur d'un spectacle permanent, dispensateur de beauté. L'Artiste, affranchi de tout tabou, au-delà de la dualité sexuelle. Jeune dieu solaire androgyne. Le portrait de Lucifer pour les Chrétiens ; un monstre inhumain pour l'humanisme hérité des Lumières. Moderne sous bien des aspects.

    Si peu de descriptions et de dialogues émaillent le roman, le narrateur n'a de cesse pourtant d'interpeller Lucius Annaeus Seneca, sénateur influent, orateur remarquable et penseur stoïcien ;  le dialogue fictif qui s'ensuit singularise la trame de l'ouvrage. Un dialogue ébauché mais capital, centré sur cette interrogation : comment le philosophe peut-il être la dupe des qualités du tyran, justifier ses crimes, s'accommoder de sa prépotence cruelle, en être l'avocat, le soutien ou le complice ? L'intellectuel peut-il collaborer avec le monarque, fût-ce dans l'espoir de l'éclairer, de l'amender ?

    En arrière-plan une autre question, essentielle, se profile : le couple paradoxal Néron-Sénèque ne serait-il pas la métaphore de l'homme ? 

    Icône de l'humanisme, Sénèque, lettré épris de rhétorique et de philosophie morale, est l'homme du jardin domestique et de la lecture. Il est aussi le précepteur, le pédagogue, le mentor, le directeur de conscience du jeune prince de la scène et du cirque. Diderot, le fondateur de l'encyclopédie au XVIIIe siècle, ira jusqu'à l'appeler «le précepteur du genre humain», lui qui avait été «le précepteur du maître du genre humain».

    L'humanisme est-il à même de civiliser l'homme ? Est-il à même de dompter le mal ? Sénèque a échoué, bien qu'auréolé des palmes du martyre.

    Tenter d'expliquer l'échec du génial pédagogue par la monstruosité inhumaine du pupille masque mal le fiasco du dessein humaniste. Plus tard, bien plus tard, l'humanisme eut son heure de gloire ; mais dès le monde antique, son projet visant à domestiquer l'homme, à le civiliser, était condamné, bien qu'il ait fallu les monstruosités du XX è siècle pour en attester l'échec.

    Tant il est manifeste désormais que l'éducation, la culture, l'art ne sauraient sauver l'humanité de sa bestialité.

    Aussi le sous-titre du roman eût-il pu être : « Néron-Sénèque ou comment humaniser l'homme ? »

     

    Les Romains, Tome 2 : Néron : Le Règne de l'Antéchrist ; J'AI LU, 2008, EAN : 9782290355800

     

    Paul Petit, Histoire générale de l'Empire romain, Seuil, 1974, (ISBN 2020026775)

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